Je suis
celui qui, après une longue route, se retrouve ici, posé en cette terre
étrangère. Le voyage fut si long que parfois, je peine à me souvenir de ce qui
m’a poussé à l’entreprendre.
Quel
que soit l’endroit où se pose mon regard, tout me rappelle qu’il existe un
ailleurs si différent que mon cœur se languit d’y retourner.
Parfois
triste et mélancolique, mon âme garde le goût de cet ailleurs auquel
j’appartiens sans savoir si je pourrais y retourner un jour. Et bien qu’aux tréfonds
de mon être je sache que je ne le reverrai pas, je ne peux m’empêcher de
garder l’espoir d’y retourner, entretenant par là cette blessure qui semble ne
jamais vouloir guérir.
Parfois
plein de colère et de rage, je cherche à comprendre ce qui a bien pu se passer,
pourquoi ai-je si souvent l’impression d’avoir démérité. Sensation de punition,
de non choix, souvenirs lointains que des voiles de brume ont recouvert depuis
longtemps.
A
choisir, il me semble que j’aurais préféré ne me souvenir de rien. J’aurais pu
alors me sentir neuf et en appartenance à cette terre, à cette humanité.
J’aurais pu m’y plonger pleinement et en accepter plus facilement les joies et
les peines. Car sans autre référence, nulle comparaison, juste ce qui est là et
se donne à vivre.
J’aurais
également pu me souvenir de tout. D’où je viens et pourquoi un jour, j’en suis
parti. Etait-ce de mon chef ou bien le fait de quelqu’un d’autre ? Quelle
était cette quête qui m’a poussé à faire ce grand et long voyage ? Le
saurais-je jamais ? Car si je pouvais percevoir le sens de tout cela, je
pourrais m’atteler à la tâche avec bonheur, avec la satisfaction que peut
procurer un projet quand on s’y donne pleinement.
Mais
dans cet entre deux, je ressens la tristesse et le désespoir infini de celui
qui, tel un amnésique, cherche en vain à combler les vides et les blancs de son
histoire.
Et dans
cet entre deux, je me coupe parfois de ce ressenti, si douloureux qu’il en devient
insupportable. A mesure que grandit cette distance entre moi et la réalité de
ce que je ressens, un grand froid m’envahit, seul vestige de sensations qui s’éloignent
à mesure que je me retranche au fond de moi-même.
Du fond
de cette prison glaciale, à l’abri de toute souffrance, je peux enfin me
déposer, tel un voyageur solitaire qui aspire au repos et lâcher toute quête de
sens et d’accomplissement.
Ecoutant
le silence qui m’entoure et percevant l’immensité immaculée, j’entends un
frémissement, comme un appel lointain qui semble se rapprocher et qui m’invite
faire table rase de tout ce qui m’entrave. Au travers d’un chant, au travers d’un
sourire, je sens la vie se mouvoir en moi, une douce chaleur, à peine
perceptible, qui ne demande qu’à se répandre dans tout mon être.
Et je
regarde autour de moi, non plus au travers d’une vitre qui me coupe du monde,
mais comme quelqu’un qui est partie prenante de ce monde. Je commence à entrevoir
qu’il ne s’agit pas de choisir d’appartenir à un monde ou à un autre mais bien d’être
à la croisée des mondes. Alors, timidement commence le chemin du retour
vers l’extérieur.